La dépression post-natale: un tabou à briser
- Nathalie Albertini
- 13 avr.
- 5 min de lecture
La dépression post-partum (DPP) est bien plus qu'un simple "coup de blues" après la naissance. C'est un trouble de santé mentale fréquent, sérieux et souvent sous-diagnostiqué. Elle peut toucher jusqu'à 15 à 20 % des mères au Canada et, bien que moins étudiée, affecte également 8 à 10 % des pères. Il est certain que ces chiffres sont sous-évalués car encore beaucoup de détresse maternelle et de dépression ne sont pas diagnostiquées ni adressées.

La dépression post-partum n’est pas uniquement liée à des facteurs biologiques ou hormonaux, malheureusement on entend souvent que ce sont « les hormones » et que « ça va passer » quand une mère pleure et nomme qu’elle ne va pas bien. Cet état est également profondément influencé par des facteurs sociaux, économiques et culturels. Le manque de soutien social, des conditions de travail précaires, l'isolement, ainsi que des attentes irréalistes autour de la maternité, sont des éléments aggravants. On peut normaliser le fait de se sentir en adaptation et vulnérable, accepter les chamboulements émotionnels qui viennent après la naissance sans pour autant banaliser la détresse maternelle et ignorer ses conséquences sur cette famille émergente.
Prévalence et données clés
Au Québec, environ 8,69 % des mères souffrent de dépression majeure en période postnatale, avec des taux variant selon les communautés. Les femmes issues de milieux précaires, racisées ou migrantes sont particulièrement touchées, car elles ont souvent moins accès aux soins de santé ou aux réseaux de soutien. De plus, 50 à 70 % des cas de dépression périnatale passent sous silence, souvent par crainte d’être jugées ou parce que les signes ne sont pas reconnus par les professionnels de santé.
Un élément clé du problème réside dans le dépistage insuffisant. Actuellement, la détection de la dépression post-partum n’est pas systématique dans les soins postnataux, et peu de professionnels sont formés spécifiquement à cette question. Cela entraîne un retard dans la prise en charge et laisse de nombreuses mères sans le soutien dont elles ont besoin.
Facteurs de risque sociaux et structurels
Les facteurs qui contribuent à la dépression post-partum sont multiples. Le manque de soutien social, l'absence d'un réseau de proches, et les injonctions contradictoires de la société moderne (être une mère parfaite tout en restant professionnelle, mince et dynamique) en font un trouble encore plus difficile à aborder. En effet, la culture de la maternité idéale – joyeuse, naturelle et sans faille – plonge beaucoup de mères dans un sentiment de culpabilité et d'isolement. Les partenaires eux aussi commencent à entrer dans cette boucle d’isolement et de pression sociale qui imposent des modèles impossibles à atteindre.
La surcharge mentale, exacerbée par des conditions de travail qui ne prennent pas en compte la réalité postnatale, est également un facteur clé. Pour beaucoup, l’absence de congés parentaux suffisants ou un manque de services adaptés à la période postnatale les laisse dans un état de vulnérabilité. Le Québec, bien qu'ayant un système de santé qui peut soutenir les mères, n’offre pas encore de services postnataux suffisamment adaptés à toutes les situations. L’exemple des services de soutien en allaitement est criant; les ressources du services publiques prennent parfois 3 ou 4 semaines d’attente, autrement il faut se tourner vers le secteur privé pour avoir affaire à des spécialistes. Les instances gouvernementales prétendent recommander l’allaitement maternel comme mode d’alimentation idéal des nourrissons, mais l’accès aux services compétents est défaillant.
Accès aux soins et détection
Un autre problème majeur est l’accès aux soins spécialisés. En effet, même lorsque la dépression post-partum est détectée, elle n'est pas toujours correctement traitée. Les services spécialisés sont peu nombreux, surtout en milieu rural. Les attentes longues pour obtenir des consultations et les coûts des traitements privés excluent souvent les mères les plus vulnérables.
En dépit de l’existence de traitements efficaces (psychothérapie, médicaments, groupes de soutien), beaucoup de mères n'ont tout simplement pas accès à ces services, faute de ressources ou à cause de la stigmatisation qui entoure la santé mentale dans la société.
Conséquences de la dépression post-partum
La dépression post-partum n'est pas seulement un problème de santé maternelle. Lorsqu’elle n’est pas traitée, elle a des répercussions directes sur le développement de l’enfant[1]. Les effets sur l’attachement, la santé émotionnelle et même les compétences sociales du bébé sont désormais bien documentés. Un enfant dont la mère souffre de dépression post-partum peut connaître des retards dans son développement socio-affectif et cognitif.
En outre, des études[2] ont montré que les mères souffrant de dépression post-partum peuvent présenter un risque plus élevé de chronification de leur état de santé mental, ce qui peut également affecter la dynamique familiale et la relation de couple.

Témoignages et exemples
Les témoignages de mères qui ont vécu la dépression post-partum illustrent la souffrance souvent invisible et négligée. Par exemple, une mère de 33 ans, après la naissance de sa fille, a décrit un sentiment accablant de vide émotionnel et une incapacité à nouer des liens avec son bébé. Ce n'est qu'après plusieurs semaines de souffrance qu'elle a trouvé l’aide dont elle avait besoin. Son histoire est loin d’être isolée, et pourtant, trop de mères vivent cette réalité en silence, souvent avec des conséquences à long terme sur leur bien-être et celui de leur famille.
Les pères (ou les partenaires) ne sont pas non plus épargnés, bien que leur souffrance soit souvent passée sous silence. L’influence du stress post-natal sur la santé mentale des pères est de plus en plus étudiée, avec des résultats montrant qu’une proportion non négligeable d’hommes souffrent de symptômes dépressifs après la naissance de leur enfant, souvent aggravés par des pressions financières et sociales.[3]
Responsabilité collective et recommandations
La dépression post-partum ne peut être considérée comme un problème individuel. Il s'agit bien d'un problème social. La société doit prendre en charge cette problématique en créant un environnement propice à la parole ouverte, au soutien et à l’accompagnement des familles.
Il est essentiel de :
Mettre en place un dépistage systématique de la dépression post-partum dans les consultations postnatales.
Renforcer les services de soutien psychologique, notamment dans les zones rurales et pour les populations marginalisées.
Changer la perception sociale de la maternité, en arrêtant d'idéaliser la figure maternelle et en donnant de la place à la vulnérabilité.
Créer une solidarité collective entre les familles, les professionnels de santé et les communautés pour soutenir les parents tout au long de la période postnatale.[4]
Prenons soin de nous (collectivement)!
Nathalie A.
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Références:
[1] Papiasvili, E.-D.-. et Mayers, L.-A.-. (2016). Il Y a Quelqu’un ? Dépression du Postpartum et Attachement. Topique, 135(2), 39-49. https://doi.org/10.3917/top.135.0039.
[2] Goron, S., Dupuis, G., Des Rivières-Pigeon, C., Bédard, M.-J. et Reeves, N. (2017). La Dépression Postnatale, Un Diagnostic Spécifique ? Analyse des Causes Perçues par les Mères En Dépression Postnatale et Non Postnatale : Perspective Qualitative. Devenir, . 29(4), 267-291. https://doi.org/10.3917/dev.174.0267.
[3] Guérin, Ludivine. (2024) Dépressions paternelles périnatales : le point en 2024. Épidémiologie, dépistage et diagnostic, complications, expérience clinique - Revue La Presse Médicale formation
[4] Tissot, H., Frascarolo-Moutinot, F., Despland, J.-N. et Favez, N. (2011). Dépression Post-Partum Maternelle et Développement de L'enfant : Revue de Littérature et Arguments En Faveur D'une Approche Familiale. La psychiatrie de l'enfant, . 54(2), 611-637. https://doi.org/10.3917/psye.542.0611.
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