
La montagne d'Améyo, femme maron


photo: Robert Nyulasi libre de droits (Pexels)

Sysnopsis
1802.
Améyo a quinze ans lorsqu’elle est brutalement arrachée à sa terre natale, sa famille et son village de la région du Dahomey. Après le voyage terrifiant pour traverser la grande mer à bord d’un navire négrier, un planteur des Antilles en fait l’acquisition pour faire d’elle une esclave parmi d’autres sur son domaine. Puisque les conditions pour les colons se dégradent en Martinique, la famille de la Rosemontais déménage à l’île Bourbon*, où les mœurs esclavagistes sont encore profitables pour les exploitants.
Après quelques années de souffrances et de pertes, Améyo saisit l’occasion de s’enfuir lors d’un cyclone qui désorganise la plantation. Elle part vers les montagnes dans les hauts de l’île pour s’affranchir de l’asservissement. Mais trouver la liberté n’est pas une quête facile pour une femme qui n’accepte plus la domination de ses pairs.
Forte de plusieurs compétences de survie, elle développe ses talents de soigneuse, tout en cherchant à guérir son âme tourmentée. Dès lors, sa réputation fera le tour de l’île Bourbon et fera d’elle une légende, entourée et respectée pour son art et son influence.
* L’actuelle Île de la Réunion, département français d’outre-mer dans les Mascareignes, au large de Madagascar, Océan Indien.


Ce roman est en cours d'édition.
La publication est prévue pour 2026
Un extrait
Durant toute l’année suivante, au rythme du travail harassant des champs, le temps est passé si vite. Quand je n’étais pas courbée sur la terre, à piocher, sarcler ou cueillir à ras du sol, j’avais mon bébé dans les bras. Les premières semaines, j’avais mal aux paumes des mains, dans le bas du dos. Il me fallut du temps pour m’endurcir. J’aimais beaucoup travailler la terre, et cueillir le café. Je découvrais la joie de comprendre comment faire pousser et récolter, pourquoi telle ou telle variété préférait le soleil ou l’ombre. Les sols aussi avaient leur importance, et mes deux mentors nourrissaient mon désir d’apprendre.
Les premiers temps, ma fille passait tout son temps à téter et dormir, c’étaient ses seules occupations. Graduellement, les sourires, les voix, les regards l’invitèrent à échanger. Elle se mit à babiller et chanter avec moi. Je lui chantais nos petites comptines du pays Éwé, mais aussi celles qu’Honorine chantait avec nous ou devant moi. Un peu de créole, un peu de malgache, un peu d’Éwé. Des chansons universelles sans paroles, pour endormir, pour réconforter, pour taquiner. Vévé souriait beaucoup quand elle était devant mon visage ou celui de notre marraine. Avec n’importe quelle autre personne, elle fermait son visage et devenait impassible, et parfois même se mettait à pleurer bruyamment pour retourner dans mes bras, d’où elle se calmait instantanément.
Dès qu’elle eut le dos assez fort et le cou solide, je l’attachais à mon dos dans une étoffe de coton et l’amenais partout avec moi. Durant les heures de grand soleil, elle restait dormir à l’hôpital avec Honorine. Cerbère faisait souvent un ou deux voyages vers les champs de la plantation avec ce petit panier pour qu’elle puisse me retrouver et téter. C’était mon repos, et je récupérais de l’énergie en nourrissant cette petite âme avide de me regarder en plein dans les yeux. Je l’allaitais à l’ombre des grands arbres de flamboyants, et Cerbère m’attendait en sculptant des petits bois.
J’avais la chance d’avoir un chef d’équipe pour surveillant. Oscar chargeait Cerbère de veiller au grand potager et aux cueilleurs de café. Comme nous étions rapides et efficaces, Oscar ne venait presque jamais vérifier ce qui se passait de notre côté. Pendant ces petites pauses à l’ombre, Cerbère me racontait les histoires des grands marons célèbres. Je l’écoutais, un sourire aux lèvres, en buvant de grandes gorgées d’eau moi aussi.
Il y avait Mafate et Raharianne sa compagne, Cimandef, mais aussi Anchaing et sa femme Héva, il y avait eu le roi Laverdure et sa reine Sarlave, ou encore Dimitile. Il racontait aussi les légendes autour des exploits des chasseurs de noirs tels que François Mussard, Jean Dugain ou encore Caron, qui décimèrent les camps organisés dans les hauts de l’île durant les années 1740 jusqu’en 1795. Les marons étaient pourchassés sans relâche par ces hommes entraînés qui avaient une bonne connaissance de la forêt et des habitudes des noirs marons.
Cerbère disait que puisque le vieux chasseur Mussard était mort, la vie du grand maron ne valait plus autant d’argent. Les Antilles avaient donné des idées aux autres colonies et bientôt l’abolition de l’esclavage sonnerait le cor de la liberté jusque dans l’océan Indien. Je ne comprenais pas exactement ce qu’était l’océan Indien.
— C’est la grande mer, ma chère enfant.
— Ma fille vivra-t-elle dans ce monde sans esclavage dont tu parles ?
— Je l’ignore. J’aimerais te dire oui. Mais je suis certain que la vie des noirs serait encore très dure même si les blancs ne peuvent plus acheter et vendre les humains pour les soumettre à la vie d’esclave.
— Pourquoi cela ? Si l’esclavage est interdit, chacun aura sa chance de cultiver et de travailler pour lui-même.
— Oh ! Cela ne pourrait pas se faire du jour au lendemain. Le pouvoir est dans les mains des blancs et ils ne lâcheront pas leurs privilèges sans lutter. Mais avec le temps, peut-être que cela finira par arriver. J’ai cru voir cela de mon vivant, mais finalement, je crains bien que rien ne se produise avant que j’aille de l’autre côté.
— Tu n’as jamais voulu partir maron ?
— Oui. Deux fois j’ai maronné. La première fois, on m’a attrapé. J’ai reçu deux cents coups de fouet. Il écarta sa tunique pour me montrer le bas de son cou dans son dos, et sa peau avait l’air zébrée de brûlures, des cicatrices épaisses et luisantes. Il n’y avait plus de peau sur mon dos et mon arrière quand ils ont fini avec moi. Je croyais moi aussi que j’étais mort. Je suis resté inconscient durant plusieurs jours. Mais j’ai fini par guérir, et je suis retourné au travail.
J’ai laissé passer quelques années, et puis, par amour pour une belle, je suis parti une autre fois. Lors de ce voyage, j’ai passé quinze jours dans un camp mené par le chef Grégoire et sa femme Soa. Mais un camp entier de femmes maronnes avait été dévasté quelques années avant au même endroit, et les villageois craignaient le retour des chasseurs de noirs. Moi, je n’ai pas supporté la vie du camp. J’étais malade quelques jours après ma fuite, et rien pour me guérir. La faim, la douleur, la peur au ventre, c’est tout ce qu’il y avait dans cet endroit. J’étais en meilleure santé sur la plantation.




