“Choisir pour soi : un droit, pas un luxe”
- Nathalie Albertini
- 29 mai
- 5 min de lecture

Il y a des décisions qu’on devrait pouvoir prendre en paix.Des décisions intimes, profondes, qui émergent du cœur même de qui nous sommes.Avoir un enfant. Ne pas en avoir. En avoir un jour. Ou jamais.C'est de ces profondes aspirations que viennent notre désir de choisir une contraception. D'en changer. De l’arrêter. Dire non. Dire oui. Dire “je ne sais pas encore”.
Ces choix devraient être simples. Conditionnés par le cœur avant tout et notre jugement personnel, ce for intérieur qui sait d'habitude ce qui est bon pour soi.Et pourtant, ils sont encore entourés de doutes, de jugements, de bouches pincées qui n’en pensent pas moins.
Pourquoi le regard social et la pression extérieure viennent polluer ces choix et altérer ce qu'on croyait fermement être la bonne décision?
Quand on parle de libre choix en matière de maternité et de santé sexuelle, on parle d’un droit fondamental : celui d’habiter son corps pleinement, de tracer sa propre trajectoire, d’écouter son rythme — sans avoir à se justifier. En habitant ma propre peau et en grandissant dans les démocraties, je croyais vraiment que cette chose-là était normale, évidente.
Mais le libre choix, celui qui permet d’agir en accord avec soi-même, il a besoin d’un socle : celui des droits fondamentaux.
Et ces droits sont bafoués.Quand l’avortement est remis en question dans plusieurs pays.Quand des personnes doivent accoucher seules, maltraitées, voire en danger.
Quand l’accès au soins de santé est loin d’être facile et même laborieux.Quand on pousse à faire des enfants mais qu’on ne garantit pas leur accueil dans la dignité.Quand la contraception n’est pas accessible, adaptée, ou respectueuse.Quand le choix de ne pas enfanter est encore vu comme suspect.Quand les parcours PMA sont conditionnés à l’hétérosexualité ou au pouvoir d’achat.
Mais la réalité, c’est que ce droit est souvent conditionnel.Conditionnel à notre statut. À notre âge. À notre origine. À notre façon d’aimer.À ce que les autres attendent de nous. Et malheureusement aussi aux politiques qui ont du pouvoir, même si c’est momentané. Ça vous met un coup de hache dans des programmes sociaux, éducatifs ou de recherches comme si tout cela était superflu, coûteux et inutile.
On croyait aussi s‘être débarrassé de 2000 ans d’oppression religieuse sur les rôle des femmes, dont les corps ont été mis à profit pour la reproduction et le travail non-rémunéré au service des nations. Et beaucoup de femmes portent encore en elles, souvent inconsciemment, les stéréotypes judéo-chrétiens sur le devoir maternel, la pureté ou la soumission.
Et même l’accès à des outils essentiels comme la contraception reste, encore aujourd’hui, un privilège.
Oui, un privilège. Ça me fait mal de le constater en 2025.
Parce qu’il faut vivre dans un endroit où ces moyens sont disponibles.Parce qu’il faut pouvoir se les payer, les comprendre, y avoir accès sans crainte d’être jugée.Parce qu’il faut avoir eu quelqu’un qui vous a écoutée, informée, respectée dans votre choix.
Beaucoup n’ont même pas le temps de se demander quels choix sont possibles. Le temps, lui aussi, est devenu un privilège. Du temps pour y penser, souperser le pour et le contre, le temps de prendre la décision, de revenir.
La contraception devrait être un droit universel, accessible, gratuit, bien expliqué.Malgré cela, toute cette question est encore loin d’être aussi démocratique, pour beaucoup de personnes. Pourtant nous vivons dans un pays développé où on parle de protéger l'accès aux soins de santé. Depuis 1969, la législation canadienne permet l’utilisation de la pilule contraceptive et sa commercialisation au pays. Comment est-ce possible qu’on en soit encore à cet endroit lorsque la démographie mondiale explose, que les ressources naturelles se voient perturbées par l’activité humaine, et ne suffisent plus à nourrir la planète? Le libre choix devrait surtout être un enjeu de justice climatique et sociale, et non une injonction à moins se reproduire!

Mais au-delà des obstacles individuels, il y a plus vaste encore :Il y a cette volonté historique et systémique de contrôler le corps des femmes qui perdure au-delà des organisations sociales et de dictats religieux.Les cultures capitalistes et marchandes se sont arrogé le pouvoir de dire quand une femme doit enfanter, combien elle doit en avoir, à quoi doit ressembler son désir, comment elle doit exister dans l’espace public, sans parler de quel type de parentalité il faut exprimer pour être une mère valide et épanouie.
On nous exhorte à “faire des enfants” pour combler les pénuries de main-d’œuvre, puis on nous reproche de les avoir quand on demande un congé.On dénonce dans les médias la “culture du viol”, mais on vend des publicités où le corps féminin est morcelé, sexualisé, déshumanisé.On nous glorifie mères courageuses ou femmes fatales, mais rarement libres, complexes, changeantes, entières.
Dans cette logique, le corps des femmes devient un objet à rentabiliser, à juger, à orienter selon les modes politiques du moment.Le libre choix dérange, parce qu’il menace l’ordre établi. La hiérarchisation des droits reproductifs concernant le genre et la classe sociale est palpable, alors que les sociétés modernes ont les moyens de créer des espaces sécuritaires pour la santé reproductive. Comment en est-on arrivé.es collectivement à revenir en arrière pour que les personnes enceintes n’aient pas ou si peu accès à une intervention volontaire de grossesse?
Alors parler de liberté reproductive, de santé sexuelle, ce n’est pas un détail :- C’est un acte de résistance.- C’est refuser d’être gouvernées par des intérêts qui ne sont pas les nôtres.- C’est reprendre le pouvoir sur nos récits, nos besoins, nos désirs.
C’est pouvoir poser des questions, demander de l’aide, changer d’avis.C’est pouvoir faire famille autrement.
Je rencontre tant de femmes qui ont dû se battre pour faire entendre leur "non", ou parfois même leur "oui".Celles à qui on a dit : “Tu es trop jeune pour décider.”Ou encore : “Tu es égoïste de ne pas vouloir d’enfant.”Ou : “Tu as déjà trois enfants, pourquoi en vouloir un autre ?”
Mais ce n’est pas aux autres de décider ce qui est juste pour nous. C’est curieux comment on nous infantilise, puis on nous culpabilise.
Le libre choix, ce n’est pas juste une option sur papier.C’est un espace intérieur qui a besoin d’être protégé, respecté, nourri.C’est un accès réel à l’information, à des soins de qualité, à une écoute sans jugement.
Et c’est encore plus que ça. C’est pouvoir enfanter sans mourir. Allaiter ou pas sans être jugée. Aimer son enfant mais souffrir quand même. Être ambivalente. Être multiple. Être complexe.
C’est pouvoir dire : “Je choisis ce qui est bon pour moi, ici, maintenant. ” Et que ce choix soit valide.
Alors que nos droits sont encore si fragiles, alors que les discours se durcissent et que certains reculs s’installent à bas bruit, répéter et rester conscient.e.s que le libre choix n’est pas une faveur, mais un droit. Ce sont nos corps, nos rythmes et nos décisions qui valent bien d’être protégés.
Nathalie
29 mai 2025
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